Parution : en août 2015 aux éditions Flammarion et dans l’édition de poche J’ai Lu en juillet 2016.
Le style, le genre : roman français flirtant dans sa construction avec le genre policier.
L’auteur : Alice Zeniter est née en 1986 à Alençon en Normandie. Ancienne élève de Normale Sup elle suit un parcours classique en devenant enseignante en Lettres pendant un temps en Hongrie puis à l’université de Paris 3 Sorbonne Nouvelle. Elle écrit depuis son adolescence, à 16 ans elle publiait son premier roman Deux moins un égal zéro aux éditions du Petit Véhicule (éditeur nantais). Elle en a écrit deux autres aux éditions Albin Michel, Jusque dans nos bras (2010) et Sombre dimanche (2013), et en août 2017 paraîtra L’art de perdre (Flammarion).
Parallèlement elle est metteuse en scène de théâtre, métier qu’elle a découvert pendant son expérience de vie hongroise, dramaturge et auteure d’adaptation de roman pour le cinéma.
Sombre dimanche a reçu le prix du Livre Inter, le prix des lecteurs de l’Express et le prix de la Closerie des Lilas. Juste avant l’oubli est récompensé par le prix Renaudot des lycéens.
Les lieux : Paris (un tout petit moment), une île des Hébrides (Écosse)
L’histoire : Franck est infirmier aux urgences de l’hôpital Bichat. Il vit seul depuis trois mois car Émilie, sa compagne, qui prépare une thèse sur Galwin Donnell, est partie dans une petite île des Hébrides pour organiser des Journées d’études consacrées à cet auteur célébrissime de romans policiers. L’atmosphère est tendue entre eux depuis plusieurs mois, car Franck voudrait un enfant et se marier et la réponse d’Émilie a été de quitter son poste d’enseignante dans un collège pour entamer une thèse. Dans ces conditions et après cette période de séparation Franck est plein d’espoir quand il s’embarque pour l’Écosse, il compte demander Émilie en mariage.
Émilie est une passionnée de Donnell, se retrouver sur l’île que l’auteur a habité de 1963 jusqu’à sa mort mystérieuse en 1985 (on n’a pas retrouvé son corps, pas plus que le dernier chapitre de son dernier livre) est un privilège. Sa maîtrise : « Les processus de déformation du monde dans l’œuvre de Donnell – ce qu’elle a appelé pour l’occasion « le réalisme diabolique » sera parachevé par une thèse, « Elle entre en thèse comme on rentre au couvent : pour devenir l’épouse du Seigneur ».
Dès leur retrouvailles Franck sent un « écart » entre eux aussi bien physique que mental…
Mon avis : C’est un livre que je traiterais gentiment « d’intello », on sent l’exercice de style. Moi qui ne connaissais rien d’Alice Zeniter, en découvrant son parcours de normalienne j’ai compris pourquoi j’avais éprouvé cela à la lecture. Il y a des passages franchement pénibles où on se fait écraser par la logorrhée savante de chacun des intervenants aux Journées d’études. Mais au fil de la lecture j’ai mieux compris qu’en fait ils permettent d’équilibrer l’histoire entre ce clan fermé d’intellectuels et le « couple » plus teinté de sensibilité composé de Franck… et ses espoirs déçus / et Jock (le gardien de l’île) … et ses mystères.
Le tour de force du livre (elle est forte Alice ! normal elle a fait Normale Sup…) c’est d’avoir créé de toute pièce un auteur, avec citations à chaque début de chapitre, extraits et commentaires de ses œuvres, et colloque ! J’ai même douté à un moment, dans le genre « quoi ! comment se fait-il que je ne connaisse pas cet auteur ? », et quand on a été libraire…
La deuxième qualité du livre c’est l’intérêt dès le départ suscité par les personnages et par l’intrigue qu’on sent venir mais cela n’empêche pas d’être surprise par le dénouement. D’abord Franck, par qui on suit les évènements même si le narrateur est extérieur, il traîne une série de complexes, le roman s’ouvre même sur l’un d’eux : « Franck avait la malchance de porter son prénom. Il le savait. Certains prénoms vous tuent à l’instant qu’ils vous nomment. (…) Les gens ne le regardaient pas de la même manière que s’il s’était appelé Guillaume ou Théo. Les gens le regardaient de la manière dont lui regardait les Kevin. Il végétait sans grâce, au bas de la hiérarchie des prénoms ». Et puis il n’est « qu’infirmier », « Lorsqu’il l’annonçait aux gens, il remarquait souvent que ceux-ci voyaient son métier comme la conséquence d’un échec en fac de médecine ».
Puis Émilie, plus complexe, complètement dominée par sa passion et vivant à côté de Franck plus qu’avec lui, et Jock personnage rude en accord avec son environnement insulaire.
Pour résumer : à conseiller à ceux qui aiment les exercices de style, les milieux universitaires littéraires et l’atmosphère particulière qui règne sur une île battue par les vents.