Parution : aux éditions Gallimard en septembre 2015, en poche chez Folio en mars 2017.
Le style, le genre : roman d’anticipation politique, sociale et religieuse. Après Orwell, dont il se revendique, et son 1984 qui prenait comme champ romanesque et politique le totalitarisme communiste, il s’attelle à la dénonciation de l’islamisme radical et politique.
L’auteur : Boualem Sansal est né en octobre 1949 à Theniet El Had (Algérie). Il est ingénieur et docteur en économie. Il a été enseignant, chef d’entreprise et haut fonctionnaire. Il est mis à l’index en 2003 pour ses positions critiques concernant l’arabisation de l’enseignement et la mise en œuvre de politiques économiques menant à une impasse, avec pour conséquence la montée de l’islamisme. Il commence à écrire en 1997, en français, et connaît le succès dans le monde entier avec le Serment des barbares, prix du Premier roman et prix Tropiques 1999. Pour 2084 – La fin du monde – Boualem a reçu le Grand Prix du roman de l’Académie française 2015.
Les lieux : en Abistan, empire imaginaire constitué de soixante provinces.
L’histoire : Ati est un homme d’une trentaine d’années, il se trouve dans la forteresse-sanatorium du Sîn dans la montagne de l’Ouâ aux confins de l’empire. Il y est arrivé dans un état calamiteux, la toux et la fièvre de la tuberculose le rendaient fou. Des caravanes viennent ravitailler ce lieu isolé, elles sont protégées par des soldats mais Ati apprend que plusieurs de ces caravanes disparaissent, parfois on les retrouve dans un ravin, parfois on disait qu’elles avaient pris la route interdite de l’autre côté de la Frontière… Mais existe-t-elle ? Y aurait-il autre chose que l’Abistan ? Quand il revient dans sa ville, Qodsabad, après deux années d’absence il est transformé, il a perdu le sommeil, le doute et l’angoisse l’assaillent. Sur le chemin du retour il fait connaissance de Nas un archéologue enquêteur de l’administration des Archives, des Livres sacrés et des Mémoires saintes. Il a été chargé de fouiller un village retrouvé intact, un village « d’avant », qui pourrait bien révolutionner les fondements même de l’Abistan. Avec Koa, un de ses amis il va quitter « le bonheur de la foi sans questions » pour se lancer à la recherche de la liberté…
Mon avis : effroyable et puissant roman, servi par une écriture épurée et efficace qui montre les craintes de l’auteur : celles d’un radicalisme islamique victorieux. Ce livre m’a fait paniquer, je l’avoue, car il n’y a aucune place pour l’espoir. En Abistan pas de pensée personnelle, de questionnement ou de commencement de doute, d’autant que les espions au service de l’Abigouv veillent ! La société est tout entière au service du dieu Yölah et de son délégué sur terre Abi. Une seule langue unique et sacrée y est tolérée : l’abilang. Et aucun ennemi n’est revendiqué, en avoir serait un constat de faiblesse.
Le roman suit une trame romanesque sans jamais s’écarter de son rôle premier : dénoncer cette société où l’être humain n’y a pas sa place. On ne peut faire autrement que lier les différentes étapes du roman à l’actualité du terrorisme mondial, il s’agit d’abord de mater l’ancienne croyance et de mener la guerre sainte sur le reste du monde. Boualem décrit le Char, la grande guerre sainte, qui a fait des centaines de millions de morts et a permis l’éradication des vieilles civilisations occidentales.
Pourquoi 2084 ? Les habitants de l’Abistan ne le savent pas vraiment, la date de naissance d’Abi ? « Celle de son illumination par la lumière divine alors qu’il entrait dans sa cinquantième année d’âge. » ? La fondation de l’Appareil « La Juste Fraternité » congrégation de 40 dignitaires ? C’est en tout cas à cette date que l’empire change de nom, après s’être appelé Le pays des Croyants il devient l’Abistan.
Ati parlant du XXe siècle : « Il découvrit aussi, perçues par tous très tôt, mais minimisées, relativisées par lourdeur, peur, calcul, porosité de l’air ou simplement parce que les alerteurs manquaient d’acuité et de voix, les prémices de ce que serait le monde avant peu, si rien n’était fait pour remettre les choses à l’endroit. Il avait vu arriver 2084, et suivre les Guerres saintes et les holocaustes nucléaires ; plus fort, il vit naître l’arme absolue qu’il n’est besoin ni d’acheter, ni de fabriquer, l’embrasement de peuples entiers chargés d’une violence d’épouvante. Tout était visible de chez prévisible mais ceux qui disaient « Jamais ça » et ceux qui répétaient « Plus jamais ça » n’étaient pas entendus. Comme en 14, comme en 39, comme en 2014, 2022 et 2050, c’était reparti. Cette fois, en 2084, c’était la bonne. L’ancien monde avait cessé d’exister et le nouveau, l’Abistan, ouvrait son règne éternel sur la planète. (…) Il découvrit avec étonnement les origines du Gkabul. Ce n’était pas de la génération spontanée. C’était simple, il n’y avait rien de miraculeux, il n’était pas la création d’Abi instruit par Yölah, comme nous l’enseignons avec sérieux et gravité depuis 2084, il viendrait de loin, du dérèglement interne d’une religion ancienne qui jadis avait pu faire les honneurs et les bonheurs de maintes grandes tribus des déserts et des plaines, dont les ressorts et les pignons avaient été cassés par l’usage violent et discordant qui en avait été fait au cours des siècles, aggravé par l’absence de réparateurs compétents et de guides attentifs. »
Boualem Sansal ne trouve guère de raisons d’espérer ailleurs, pour lui le monde court à sa perte s’il ne corrige pas sa trajectoire (consommation à outrance, pillage des ressources naturelles).
Pour résumer : roman glaçant, pessimiste ? En tout cas, ennemi du politiquement correct, le ton est donné en début d’ouvrage avec un avertissement ironique et inquiétant.
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De Boualem Sansal j’ai lu et particulièrement apprécié « Le village de l’Allemand » aussi quand j’ai vu 2084 sur les étals de ma librairie, j’ai aussitôt été tentée. Mais en lisant en dernière de couv. le résumé de l’intrigue j’avoue avoir été découragée par le sujet du radicalisme religieux.Ta chronique me fait du coup douter et je pense que je vais retourner l’acheter à l’occasion, merci 🙂
🙂
bon ça plombe quand même…le moral, il faut être en forme !