Un peu tard dans la saison de Jérôme LEROY

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un peu tard dans la saison
256 pages – 18 € –

 

 

un peu tard dans la saison 2e couv
Moi j’ai cette couverture-ci ?! Je la préfère…

Parution : aux éditions de La Table Ronde en janvier 2017.

Le style, le genre : roman dérangeant car piquant nos certitudes écrit à deux voix, l’une c’est Agnès l’agent spécial de la DGSE et l’autre Guillaume Trimbert, l’écrivain. Peu de dialogues.

L’auteur : Jérôme est né le 29 août 1964 à Rouen, il a été professeur en zone d’éducation prioritaire à Roubaix avant d’écrire des romans jeunesse, des romans noirs et de la poésie. Il a été coscénariste du film de Lucas Belvaux « Chez nous ». Proche du PC il écrit des textes sociaux qui alertent sur le devenir et la noirceur du monde. Ses romans sont souvent récompensés, Le Bloc prix Michel Lebrunjerome leroy 2012 et Deutscher Krimi Preis en 2018, Un dernier verre en Atlantide (poésie) reçoit un des prix de l’Académie Française – Maïse Ploquin-Caunan , L’ange gardien le Prix des lecteurs des quais du polar 2015. Un peu tard dans la saison, Prix Rive gauche à Paris 2017, était son dernier roman publié, une nouveauté polar parait le 8 mars 2018 aux éditions Manufacture de livres La petite gauloise.

Les lieux : Paris, Eymoutiers, Limoges, Brive la gaillarde, Pau, Lisbonne, Porto.

L’histoire : le roman commence en 2032 dans le Gers, dans une civilisation améliorée appelée la Douceur. Une femme est en train de coucher sur le papier ses souvenirs pour sa fille Ada qui, un jour, voudra peut-être savoir…
La capitaine Agnès Delvaux travaillait pour la DGSI, elle surveillait déjà Guillaume Trimbert, écrivain et poète d’une cinquantaine d’année, fiché S, avant même d’en être chargée par son service, pourquoi ? je n’en dirai pas un mot puisqu’on l’apprend seulement à la fin du livre.
La DGSE est sur les dents, pire que les attaques terroristes incessantes, qu’une catastrophe nucléaire ou qu’un évènement climatique, un phénomène surgit aux alentours de 2014 et ne fait que s’amplifier, tenu secret par tous les gouvernements, on l’appelle l’Eclipse. Il touche tous les Occidentaux, des grands patrons aux politiques en passant par les journalistes, les écrivains, les infirmières et bientôt par toute la population. Très simple mais déroutant : « les gens partaient, se retiraient du jeu ou comme disaient les jeunes de ce temps-là, et jamais expression n’aura été plus adéquate, « lâchaient l’affaire ».
Agnès observe, mais elle flingue aussi, tout ceux qui s’éclipsent et qui pourraient parler (ministres, agents de la DGSE eh oui ! , fichés S, etc.). Elle obéit aux ordres.
Guillaume, après la disparition organisée de plusieurs de ses amis, est lui aussi tenté. « Il y avait autre chose, aussi : l’idée de ne pas avoir de descendance me délivrait soudain de toute obligation. Je sortais du temps et cette idée de disparition qui commençait à me travailler, qui m’avait sans doute travaillé depuis l’enfance, devenait soudain possible. Quand on n’a plus que soi à charge d’âme, il y a un vertige qui s’empare de vous dont il est difficile de savoir s’il est un avant-gout d’une chute mortelle ou d’une étrange liberté. Je n’étais plus rien, et c’est en me promenant dans les jardins de Queluz, manière de petit Versailles enclavé dans la banlieue de Lisbonne, que l’idée a peut-être pris forme clairement pour la première fois. Je pouvais disparaître. »

Mon avis : c’est une histoire de barbouzes, de révoltes sociales, de chaos, de terrorisme, et de désespoirs individuels. Il est d’ailleurs remarquable que le nombre de romans publiés qui annoncent l’épuisement, voire la disparition, de notre civilisation commencent à prendre beaucoup de place dans les rayons des librairies. Si on est d’accord avec le postulat que les écrivains et les artistes en général sentent et prédisent bien des évènements, on ne peut que s’inquiéter des bouleversements à venir, soit pour s’en réjouir comme c’est le cas de l’auteur engagé dans un militantisme de gauche activiste (pour les curieux voir son blog : Feu sur le quartier général), soit pour s’en inquiéter. Ce roman va ravir les premiers : la civilisation facebook – twitter – télé dénuée de sens s’écroule, et il va faire réfléchir les seconds (sauf Trump) qui même accrochés à leur confort, que nous savons être destructeur de notre écosystème, savent bien au fond d’eux que rien ne va plus…
Je ne connaissais pas cet auteur que j’ai choisi par hasard à la médiathèque, je suis ravie de l’avoir lu et même plus que ça c’est une excellente découverte, l’écriture est efficace mêlant suspense et sens du rythme (on sent là l’écrivain de romans policiers), mais c’est sur le fond que j’ai été troublée, car par moment je m’éclipserai bien moi aussi… Il décrit notre système capitaliste comme une machine devenue folle dont le fonctionnement n’est pas vraiment expliqué, par peur de voir la population mondiale ne pas pouvoir supporter la vérité. Il met l’accent sur nos comportements quotidiens, qui ne nous alertent qu’à la marge. Agnès parle de l’appartement de Guillaume : « (…) un côté froid, impersonnel comme une photo dans un magazine de décoration. C’était si fréquent dans les derniers temps avant l’Eclipse, ces appartements et ces maisons où rien ne signalait une présence un peu particulière. On en était arrivé à l’époque de Airbnb où une population paupérisée qui ne voulait pas admettre sa paupérisation laissait loger des inconnus du monde entier chez elle et faisait de même chez les autres. Pas étonnant que tout se soit écroulé aussi vite : on faisait passer pour « sympa » ce qui était une obligation économique comme les colocations, qui ne sont jamais qu’un internat pour adultes, ou le statut d’autoentrepreneur dont ce vieux rouge de Trimbert aurait expliqué que c’était en fait un retour à une situation d’avant la révolution industrielle, quand les ouvriers tisserands travaillaient à domicile chacun dans leur coin, n’avaient donc pas la possibilité de s’unir et étaient soumis à un dumping social permanent de la part des patrons. Il suffisait de remplacer tisserand par concepteur graphiste ou web designer, et on était en plein retour vers le futur. »
Plus d’ordinateurs, d’électricité (à part celle des panneaux solaires), les villes en ruine, « l’humanité retrouve un rythme archaïque, c’est-à-dire logique ». La décomposition sociale et technologique va de pair avec la quête individuelle des différents protagonistes, elle est profonde.

Pour résumer : pour terminer cette chronique plus longue que d’habitude une dernière citation. « – Eh bien figure toi, capitaine, que la semaine dernière, par exemple, c’est le responsable de la sécurité de toutes nos centrales nucléaires qui a téléphoné un matin pour dire qu’il ne viendrait plus bosser. Il a quarante ans. Il est parti vivre à Vierzon. Nom de Dieu, Vierzon, Agnès… Quand on lui a demandé pourquoi Vierzon, il a dit qu’il a vu pêcher un gamin dans l’Yèvre, près du pont où elle se jette dans le Cher, qu’il était deux heures de l’après-midi et qu’il avait envie de faire comme lui, que c’était manifestement la chose qu’il avait envie de faire désormais jusqu’à la fin de ses jours. Pêcher dans l’Yèvre au centre de Vierzon, avec des mômes. » Quelle peur pour tous ceux qui ne vivent que pour faire des affaires… et si c’était la solution ? ! Bon je m’éclipse…

 

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