
Parution : en septembre 2017 aux éditions Gallimard dans la collection Arcades.
Traduit de l’allemand (Autriche) par Pierre Deshusses.
Le style, le genre : essai prenant place dans un polyptyque que l’auteur consacre à l’exploration littéraire de notre quotidien, il vient après Essai sur le Lieu Tranquille, Essai sur la journée réussie, Essai sur le juke-box et Essai sur la fatigue.
Les lieux : dans des forêts en Autriche.
L’auteur : Peter Handke est né le 6 décembre 1942 à Griffen en Autriche dans la région de Carinthie. Sa mère était Slovène et son père Allemand. Il fait des études de droit et devient écrivain à plein temps dès 1966 avec la publication de son premier texte Die Hornissen – Les Frelons.
Ecrivain, traducteur, scénariste et réalisateur autrichien, auteur du scénario du film Les Ailes du désir de Wim Wenders, ses œuvres ont été simultanément célébrées et sévèrement critiquées pour leur caractère provoquant et leur usage de techniques non conventionnelles, il est influencé par le Nouveau roman et revendique le rejet du modèle dominant de la littérature. Depuis une vingtaine d’année son écriture et ses thématiques sont plus apaisées même s’il continue à bâtir une critique sévère de nos sociétés contemporaines. Il est, entre autres, un des traducteurs de Patrick Modiano, de René Char et de Francis Ponge.
Le thème : en décembre, entre Paris et Beauvais dans la demeure de l’écrivain à l’écart du village, Peter entreprend de nous raconter une histoire qui « quoi qu’il en soit, ne va pas changer la face du monde ; une histoire qui, en préambule (mot qui, pour une fois, est à sa place) à cet essai, m’a fait revenir à l’esprit le titre d’un film italien remontant à plusieurs dizaines d’années, avec Ugo Tognazzi dans le rôle-titre : « La tragédie d’un homme ridicule » – pas le film lui-même, juste le titre. »
Cette histoire c’est celle d’un ami, fou de champignons, il nous fait remarquer d’ailleurs que les champignons ne parcourent la littérature que depuis peu de temps. Dans la littérature du dix-neuvième siècle, les champignons ne jouent presque aucun rôle, ils n’apparaissent qu’après la guerre de 39/45. « Et maintenant, en cette toute nouvelle époque, comment dit-on ?, à « notre » époque, il semble qu’abondent les récits où les champignons obéissent davantage au rôle qu’ils jouent dans les fantasmagories du commun des mortels, soit comme instruments de meurtre, soit comme moyens, comment dit-on déjà ?, d’« expansion de la conscience ».
Quand il était enfant, le futur fou de champignons commença sa chasse pour de l’argent, nourrissant les citadins après la seconde guerre mondiale. Doucement les raisons d’aller au plus profond des forêts se modifient, de vénale (pour une bonne cause, il achète des livres…) la cueillette ou la découverte des merveilles deviennent nécessité. « Chaque fois qu’il partait de chez lui, loin de la maison de ses parents, du village de son enfance, pour traverser les prés, les prairies et les champs et, coupant à travers les derniers vergers, monter jusqu’à l’orée de la forêt et « se mettre au diapason » en écoutant les feuillages aux sonorités si diverses – la lisière de la forêt était en effet constituée principalement de feuillus – il le faisait et l’entreprenait avec la conscience ou si vous préférez l’illusion d’une mission supérieure. »
La découverte du premier cèpe est un miracle et la force qui l’habite devient magique. Jusqu’à le faire abandonner femme et enfant et disparaître. Loin, il va loin !
Mon avis : je n’avais encore jamais rien lu de tel, des chercheurs de champignons j’en ai connu beaucoup dans mon enfance dans mes forêts nivernaises, – ah les coins à champignons tenus secrets ! – mais ce portrait est hors norme. La montée de la « folie » est amenée avec une maitrise d’écriture rare. On commence doucement, comme apprendre à connaître les mouvements si particuliers du pas de recherche qui n’est pas le même que celui d’une marche ordinaire, et sa variante la marche à reculons puis le pas épique ou bien apprendre à voir les arbres s’entremêler, se répondre, bruisser. « A bien y regarder, il se sentait même moins enrichi par ses trouvailles que par les phénomènes secondaires : par exemple le fait de savoir faire la distinction, au cours des étés, entre le bruissement des chênes, parfois presque un grondement, celui des hêtres, plutôt un tumulte, et celui des bouleaux qui, même par grand vent, était plus un froissement qu’une rumeur. C’était une expérience d’apprendre comment les feuilles tombaient toutes différemment en automne selon les arbres : les feuilles bien découpées des érables commençaient par une chute en piqué avant de se poser doucement en vol plané ; les feuilles des châtaigniers, les plus grandes mais aussi les plus fines, en forme de bateau, mettaient le plus longtemps à tomber sur le sol, montant encore une fois en dansant et en se balançant ; (…) »
A travers cet homme Peter nous embarque dans nos contradictions de citadins déconnectés de la nature, où on ne sait plus que les choses les plus simples sont souvent les plus belles. Il transforme en miracle la plus infime découverte ou en don quasi divin la profusion de certains champignons sauvages surgissant au détour d’un bosquet, les russules, les lépiotes, les faux mousserons, les oronges, les morilles, les trompettes des morts, les hydnes imbriquées, etc. Pour le fou, seuls comptent les champignons sauvages qui ne peuvent se cultiver. «Tous restaient rétifs à la culture, et aussi longtemps que ces derniers résisteraient à la culture parmi toutes les plantes du globe, « mon et notre aller aux champignons restera partie prenante dans cette résistance et cette aventure de la résistance ! »
Pour résumer : merveilleux essai d’un merveilleux auteur qui m’enchante toujours autant. Poétique et étincelant ! Pour tous ceux qui ne font qu’un avec la nature.