Lettres d’Angleterre de Karel ČAPEK

 

lettres d'angleterre
184 pages – 12 € –

Parution :  première édition tchèque en 1924, première édition française en 1929 chez Grasset. Et enfin pour la présente édition : en octobre 2017 aux éditions La Baconnière (situées à Genève) dans la collection IBolya Virág. Traduction du tchèque par Gustave Aucouturier. 

 

Le style, le genre : récit de voyage écrit à la première personne qui s’adresse directement au lecteur.

L’auteur : Karel Čapek est né le 9 janvier 1890 à Malé Svatonovice dans la région de Hradec Kralové en Bohême et mort à Prague le 25 décembre 1938 à seulement 48 ans. Fils d’un médecin de campagne il souffre très tôt de graves problèmes de dos qui le handicapent et l’exemptent en 1914 de toute incorporation militaire. Après des études de philosophie à Prague, Berlin et Paris il devient journaliste et écrivain. Il est très proche de son frère Josef, un peintre, qui travaillera avec lui sur ses premiers textes et illustrera plusieurs de ses livres. Son œuvre sera toujours empreinte d’interrogations philosophiques, ses premiers ouvrages, dont le plus connu La Fabrique d’absolu (éditions La Baconnière), sont des réflexions sur la place du progrès technologique dans l’avenir karel capekde l’Humanité. Une pièce le rend célèbre, R.U.R. (Rossumovi univerzální roboti), c’est en effet dans cette pièce de science-fiction que le mot robot (qui vient du mot robota signifiant travail, corvée en tchèque) est inventé par son frère. Jouée pour la première fois à Prague en 1921 puis à New York en 1922, elle est donnée à Paris le 26 mars 1924 à la Comédie des Champs-Élysées avec pour acteurs Antonin Artaud, Ben Danou, Jean Hort, Fabert et Héraut.

En 1936 il publie La Guerre des salamandres (éditions La Baconnière), imaginant une guerre entre l’homme et l’animal, écrit dans un contexte politique lourd (nazisme, antisémitisme et sur fond de problèmes écologiques).

De 1925 à 1933 il est président du Pen Club tchécoslovaque et a été proposé sept fois pour le prix Nobel de littérature entre 1932 et 1938. Il meurt quelques jours avant son arrestation programmée par la Gestapo, son frère Josef n’y échappe pas, il est déporté dans le camp de Bergen-Belsen où il meurt en avril 1945. Longtemps interdit par le communisme, ses œuvres anti totalitaires reviennent au grand jour, notamment en français, grâce à l’obstination d’éditeurs talentueux.

Le thème : Karel, écrivain déjà majeur dans son pays et reconnu partout dans le monde, est invité en Angleterre pour la tenue du congrès national du Pen Club et pour l’ouverture de la British Empire Exhibition à Wembley en avril 1924. Il en profite pour voyager et pour cela tient un journal ainsi qu’un carnet de croquis qui va nous emmener en Angleterre mais aussi en Ecosse et au Pays de Galles, pas en Irlande pour des raisons que vous trouverez en page 137. Avec un humour au moins égal à celui de ses hôtes il décrit ses pérégrinations. Tout est prétexte à étonnement ou à dérision, les maisons, les rues de Londres, les parcs anglais, les orateurs d’Hyde Park, les Gentlemen, les musées, l’East End, la campagne, Cambridge et Oxford, les lacs écossais, et les dimanches… «  A Exeter, j’ai été surpris par le dimanche anglais, conjugué avec la pluie. Le dimanche d’Exeter est si radicalement saint, que même les églises sont fermées. » Depuis la Hollande il arrive à Folkestone par bateau, « mais pour commencer tout de même par le commencement, je vous ai dessiné l’Angleterre telle qu’elle apparaît quand on s’en approche, venant du canal. Le blanc, ce sont seulement des rochers, et en haut il pousse de l’herbe : les fondations sont certes assez fermes et pour ainsi dire de roc, mais avoir sous les pieds un continent, ça vous donne tout de même une impression plus solide. »

Mon avis : ce livre est rempli de bons mots, de réflexions subtiles, d’esprit, de vacheries et de désir de nous amuser. Il est à l’image de l’auteur et j’ai adoré, je le conseille à tous ceux qui aiment la Grande-Bretagne et à ceux qui ne l’aiment pas d’ailleurs…, car si ses descriptions sont caustiques et qu’il la regarde avec un sentiment d’incompréhension c’est parce que Karel est d’abord un continental qui se sent plus à l’aise en France ou en Italie, et qui regarde l’Angleterre comme une curiosité. Il consacre quelques lignes à des écrivains qu’il admire tels H. G. Wells ou G. Bernard Shaw.

Ce petit livre est agrémenté des dessins de l’auteur, qui sont tout autant malicieux que ses textes.

Je vous livre quelques passages pour vous donner envie de plonger dans ce livre réjouissant.

« En Angleterre, je voudrais être vache ou enfant. Mais, comme je suis un homme adulte et formé, j’ai regardé les gens de ce pays. Eh bien, il n’est pas vrai que les Anglais portent tous des vêtements à carreaux, une pipe et des favoris : en ce qui concerne ces derniers, le seul véritable Anglais est le Dr Bouček à Prague. Tout Anglais porte un imperméable ou un parapluie, une casquette plate et un journal à la main ; si c’est une Anglaise, elle porte un imperméable ou une raquette de tennis. La nature a ici tendance à faire des êtres extraordinairement velus, poilus, hispides, tomenteux, hérissés et couverts de système pileux de toutes sortes : par exemple, les chevaux anglais ont de véritables toisons et brosses de poils aux jambes, et les chiens anglais ne sont autres que de drôles de paquets de poils. Seuls les gazons et les gentlemen anglais se rasent tous les jours. 

Ce que c’est qu’un gentleman anglais, c’est très difficile à dire brièvement : il faudrait pour le moins que vous connussiez un garçon de club anglais, ou bien un caissier de gare, ou encore un policeman. Un gentleman, c’est un mélange savamment dosé de silence, de bienveillance, de dignité, de sports, de journaux et de respectabilité. Deux heures durant, votre vis-à-vis, dans le train, vous met hors de vous en ne vous jugeant pas digne d’un regard ; et puis tout à coup il se lève, et vous passe votre valise que vous ne pouviez pas atteindre. Ici, les gens savent toujours s’aider l’un l’autre, mais ils n’ont jamais rien à se dire, sauf peut-être sur le temps qu’il fait. Si les Anglais ont inventé tous les jeux, c’est sans doute parce qu’en jouant on ne parle pas. »

Pour résumer : un petit bijou, mon coup de cœur de cette fin d’année. Un livre qui pourrait faire un joli cadeau de Noël, à commander chez votre libraire préféré s’il ne l’a pas en rayon, et profitez-en pour découvrir à la suite les autres ouvrages de cet écrivain majeur du XXe siècle.

 

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. jostein59 dit :

    Je ne connaissais pas cet auteur mais, effectivement son regard ironique sur l’Angleterre doit déclencher de beaux sourires

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