
Parution : en 1954 sous le titre Korupsi, traduit en français pour la première fois en 1981, édité en 1991 par les éditions Philippe Picquier , parution en poche en 2001, réédition en mai 2017.
Traduction de l’indonésien (ici une des formes du malais) par Denys Lombard.
Le style, le genre : roman classique qui se déroule sur plusieurs années. La profondeur de l’analyse psychologique fait que son roman dépasse le point de vue politique pour devenir une fable sur la cupidité et la vanité humaines.
L’auteur : Pramoedya Ananta Toer est né en 1925 sur l’île de Java. Il est le fils aîné d’un père instituteur et d’une mère marchande de riz. Il vient d’être diplômé d’une formation professionnelle pour travailler comme journaliste dans une radio quand l’invasion japonaise commence (1945), il débute comme dactylo pour un quotidien japonais durant l’occupation du pays par les troupes japonaises. Il a été emprisonné par le gouvernement colonial hollandais de 1947 à 1949. En 1965, accusé de sympathies procommunistes sous la dictature de Suharto, il est envoyé au bagne sur l’île de Buru, le goulag des mers du Sud, dont il sort en 1979, sous la pression internationale. Jusqu’à la fin de sa vie, en 2006, il est surveillé et systématiquement censuré.
L’œuvre de Pramoedya Ananta Toer est considérable – plus de cinquante romans, nouvelles et essais, traduits dans près de quarante langues. Sa grande œuvre est Buru Quartet, publié dans son intégralité en quatre volumes chez Zulma. Peu de livres sont traduits en français : Corruption en 1981 ; Le Fugitif éditions 10/18 en 1997 ; La Fille du rivage en 2004 et La vie n’est pas une foire nocturne chez Gallimard en 1993.
Les lieux : Jakarta (Indonésie)
L’histoire : Ce roman nous fait vivre de l’intérieur l’engrenage infaillible de la corruption. Bakir le petit fonctionnaire falot s’enorgueillit de sa probité, jusqu’au jour où
il prend conscience de la médiocrité de sa fortune et de la piètre estime dont il est l’objet. C’est une suite de déboires qui l’accable : d’abord son vieux vélo grinçant, rouillé et peu valorisant, la pauvreté de son logis avec une belle armoire qu’il a fallu vendre puis une moto vendue elle aussi bien qu’il eut économisé dix ans pour se l’offrir. La plus grosse rancœur il l’éprouve pour cette famille chinoise bruyante à qui il a dû louer la pièce la plus confortable de sa maison et qui ont installé une boutique.
C’est alors qu’il découvre peu à peu l’ivresse de la richesse, du luxe et du pouvoir, grâce au jeu de la corruption.
Mon avis : cet auteur est ma découverte littéraire de l’année 2018. Après les quatre volumes de Buru Quartet 1 / 2 / 3 / 4, romans interdits en Indonésie jusqu’en septembre 2005, (je n’ai pas encore écrit ma petite fiche sur le quatrième) j’ai lu avec plaisir ce roman court mais percutant écrit en 1954 donc bien avant le Quartet. Le roman décrit l’engrenage terrible dans lequel va être entrainé Bakir, ses doutes, ses remords, les allers-retours de sa conscience, incarnée par Sirad un jeune employé de bureau, nous font souffrir avec lui. « Cela faisait vingt années que j’étais entré dans la carrière, j’avais commencé tout en bas de l’échelle… Et depuis, mes ressources, comme mon espoir de vie, n’avaient fait que diminuer régulièrement. (…) Plus mes services s’ajoutaient, plus augmentait mon sentiment de frustration ; le nombre de mes enfants augmentait aussi d’ailleurs. » Voilà le gros souci de Bakir, ses enfants. Il en a quatre Bakri, Bakar, Basir et Basirah, ils sont bons élèves et demandent à continuer leurs études dans le second cycle, et… c’est cher.
Ce qui est intéressant, à part ce dilemme « va-t-il devenir corrompu ou est-ce qu’il résiste ? », c’est la description de la société javanaise dans ses aspects publiques ou privés, nous découvrons un monde encore très peu progressiste marqué par la colonisation, les invasions, la culture traditionnelle et les diktats de la religion.
Pour résumer : plongez vous d’abord dans le Buru quartet avant d’ouvrir ce livre, vous le dégusterez encore mieux, car vous aurez déjà compris les subtilités du monde de Pramoedya.