
Parution : en septembre 2001 aux éditions Grasset, en format poche chez Le Livre de Poche en mars 2017 (dernier tirage).
Le style, le genre : roman sentimental, roman de guerre, roman poétique.
L’auteur : Shan Sa est née à Pékin en 1972. Après avoir écrit dans sa langue une œuvre poétique, elle quitte en 1990 son pays pour Paris grâce à une bourse du gouvernement français. Après des études de philosophie, elle devient pendant deux ans la secrétaire du peintre Balthus. Sa première publication en français, Porte de la paix céleste, reçoit le prix Goncourt du premier roman en 1997. Les Quatre vies du saule (1999) est récompensé par le prix Cazes. Puis, en 2001, Shan Sa se voit décerner le prix Goncourt des lycéens pour La Joueuse de go. On lui doit plusieurs autres romans, dont Impératrice (Albin Michel 2003). Elle est également artiste, pour suivre son parcours c’est ici.
Les lieux : la Mandchourie.
L’histoire : 1937. Alors que la Mandchourie est occupée par l’armée japonaise, une lycéenne de seize ans semble ignorer tranquillement la guerre, les cruautés, les privations. Mélancolique, seule telle « un rouleau de soie cramoisie enfermé au fond d’un coffre en bois », l’adolescente joue au Go. D’où tient-elle cette maîtrise ? Place des Mille Vents, la lycéenne s’amuse à mentir. Ses mains déplacent les pions sans jamais se tromper, les joueurs s’assoient en face d’elle à une table gravée en damier et la défient. Le Go est une esquive. Est-elle amoureuse de Min ou de Jing ? Sait-elle qu’ils aident tous deux à la résistance contre les japonais ? Entre les bras duquel des deux perd-elle une virginité fiévreuse ? Elle ignore encore son adversaire de demain : un officier japonais, à peine plus âgé qu’elle, un samouraï de métal, sanglé dans le sacrifice nécessaire à la Patrie impérialiste qu’il défend. « Agir c’est mourir » pourrait-être la devise de ce puritain qui va chaque soir au bordel puisqu’il ne sait pas aimer autrement. Ils vont s’affronter le temps d’une partie quotidienne de Go, en silence, dans le bruit mat des pions déplacés. Ils s’aimeront – sans un geste – alors que la Chine périt sous les Japonais qui tuent, pillent, torturent. Min a été fusillé et Jing avili jusqu’à devenir traître à sa cause, mendiant le pardon de la jeune chinoise. L’ambitieux roman de Shan Sa, loin d’être le chromo d’une Chine idéale, a l’impassibilité implacable d’une guerre feutrée. Sous le masque, la violence, la peur, le désir. Construit en une narration alternée, chacun prend la parole à son tour, le roman nous laisse pénétrer l’intimité des personnages. Ici la fureur de l’officier qui ne se reprend que trop tard. Ici la naïveté et le chagrin de la chinoise. Les phrases claquent telles la bannière d’un clan mandchou. (texte éditeur)
Mon avis : j’ai lu ce livre il y a près de 20 ans et je m’en souviens encore, alors j’ai pensé que cela valait la peine de vous en parler. Extrêmement bien documenté, il se déroule dans les années 30 en Chine et au Japon et permet par sa construction, des chapitres très courts qui alternent les récits de deux personnages, de suivre la progression de leur vécu, de leurs émotions et de leurs sentiments. Les 92 chapitres , 46 pour chacun des deux protagonistes donnent une sensation de liberté et de poésie incroyable. Nous sommes baladés tout du long dans l’art de la suggestion.
Lui est un officier japonais qui quitte sa famille pour la Mandchourie en guerre, elle une jeune fille de 16 ans qui manie la stratégie du go à la perfection, se risquant même à des paris audacieux, « Cousin Lu, jouons une partie de go. Si tu gagnes, j’accepte toutes tes propositions. Si tu perds, nous ne nous verrons plus. »
La place des Mille-Vents tient une place à part, presque un troisième personnage. C’est là que se déroulent les parties de go. » Quand l’endroit s’est-il transformé en lieu de rendez-vous des amateurs de go ? Je l’ignore. Les damiers gravés sur les tables de granit, après des milliers de parties, sont devenus visages, pensées, prières. »
C’est sur cette place que le jeune militaire parlant couramment mandarin est chargé de se mêler à la population pour tenter d’obtenir quelques informations sur la résistance chinoise. Selon son capitaine, les terroristes se camouflent en joueurs de go, c’est en jouant qu’ils mettent au point des « coups tordus ». Déguisé en « universitaire » il voit les joueurs attablés ; curieux, il s’approche et fait la rencontre d’une jeune chinoise.
« La Chinoise n’aime pas le bavardage. Elle ne me pose aucune question et me presse de commencer. Dès son premier coup, elle impose un jeu pervers et extravagant. Je n’ai jamais joué au go avec une femme. Je ne me suis jamais trouvé si près de l’une d’entre elles, si ce n’est de ma mère, de ma sœur, d’Akiko, des geishas ou des prostituées. Bien que le damier me sépare de mon adversaire, son parfum de jeune fille me met mal à l’aise. Absorbée par ses pensées, la tête penchée, elle semble rêver. La douceur de son visage contraste avec la dureté de sa main. Elle m’intrigue. »
Pour résumer : en relisant de grands passages j’ai retrouvé, intact, le plaisir de cette lecture, la fin est bouleversante. Je vous le conseille.