Revenir à Vienne de Ernst LOTHAR

Parution : début d’écriture en 1945 à Scarsdale, le lieu de l’exil américain de Ernst, et terminé à Vienne au printemps 1949. Paru en 2019 chez Liana Levi. En octobre 2020 en poche piccolo de Liana Levi. Traduction de l’allemand (autrichien) par Élisabeth Landes.

Broché :  512 pages – 23 €  Poche : 544 pages 13 €

Le style, le genre : roman historique retraçant l’exil des immigrés autrichiens aux USA avant ou pendant la seconde guerre mondiale, et leur éventuel retour en Autriche. C’est, comme dans Mélodie de Vienne, un récit en grande partie autobiographique.

L’auteur : Ernst Lothar, de son vrai nom Ernst Lothar Müller, est né le 25 octobre 1890 à Brünn, en margraviat de Moravie en Autriche-Hongrie (aujourd’hui Brno en République tchèque), il est décédé en octobre 1974 à Vienne. Après des études de droit il devient juriste jusqu’en 1925, avant de se consacrer à l’écriture. Ce Viennois proche d’Arthur Schnitzler, Stefan Zweig et Max Reinhardt, quitte l’Autriche en 1938, en raison de ses origines juives. Réfugié à New York, il fonde l’Austrian Theater. C’est là qu’est publié en 1944 Mélodie de Vienne. De retour après la guerre comme conseiller du gouvernement américain en charge de la dénazification culturelle, Ernst Lothar reprend ses collaborations théâtrales, dirige le Burgtheater et termine l’écriture de Revenir à Vienne, que j’ai lu dans la foulée, très inspiré de sa propre expérience. Seuls ces deux romans sont traduits en français.

Les lieux : Scarsdale, New York (USA) et Vienne (Autriche).

L’histoire : Vienne, en cette année 1946, brille encore de tous ses feux dans les mémoires, bien que la guerre ait mis à genoux le pays, affamé la population et détruit une bonne partie des immeubles cossus. L’Opéra lui-même est complètement calciné. Pourtant, dans les grands hôtels, les femmes recommencent à danser, cette fois avec les Américains qui occupent la ville. Y retourner, après huit années d’exil new-yorkais, constitue le rêve de Felix von Geldern et de sa grand-mère Viktoria. Mais, malgré les beaux habits sortis des malles, le cœur n’y est pas. Comment danser sur les décombres, renouer avec les anciennes amours et faire fi des compromissions et des non-dits sur le récent passé nazi. Revenir, c’est être déchiré par des sentiments contradictoires : la condamnation ou le pardon… Un grand roman sur la difficile confrontation avec une Histoire que l’on aimerait oublier.

Mon avis : j’ai lu Revenir à Vienne à la suite du roman précédent Mélodie de Vienne. Je m’attendais à retrouver les mêmes personnages mais c’est une autre famille les Van Geldern qui en sont les héros. (si quelqu’un sait pourquoi il n’a pas repris les mêmes personnages ? J’ai cherché sans trouver…)  Mon plaisir a été aussi grand, même si ce deuxième volet est beaucoup plus sombre, la magie austro-hongroise s’étant dissipée…

Après la guerre de 39/45 les immigrés autrichiens qui ont souvent demandé et obtenu la nationalité américaine sont placés devant un dilemme entre l’envie de s’intégrer totalement et celle de retrouver leur pays d’origine. Le roman est construit comme une symphonie ou un opéra avec des moments de douceur et des moments de fureur. Les Américains ne sont pas très clairs dans leurs relations avec les vaincus, ils favorisent ces accès de fureur, dû à l’incompréhension.

« Messieurs, dit-il dans un anglais assez fluide, savez-vous bien que vous êtes en train de commettre une abomination qui enlève tout sens à votre victoire ? Excusez-moi, mon nom est Jellinek, de Brünn en Moravie, et voici mon garçon Bertl. Salue messieurs les officiers américains Bertl, allons… il est timide. Permettez-moi de vous dire que votre grand président Roosevelt se retournerait dans sa tombe s’il vous voyait assis ici comme ça. Et, pardonnez-moi cette question, mais que devons-nous en penser, nous, les parias ? Et que doit penser l’Europe des parias, si les vainqueurs qui clamaient « A bas Hitler ! » mangent et boivent ici avec Hitler ? Messieurs les colonels… c’est bien votre grade ? Vous avez mis le monde sens dessus-dessous, fait de l’Europe un champ de ruines, et voilà que maintenant vous dites tout à coup : « Oublions tout ça ; venez, Hitler, asseyez-vous à notre table ! » Ce n’est pas possible. Savez-vous ce que va faire ce monsieur quand il se lèvera de table après avoir festoyé et qu’il rentrera chez lui ? Il fondera le quatrième Reich. Avec Brunner Deux ou Brunner Trois ou Cinq mille, mais exactement comme sous Hitler, Himmler et Schirach ! Rien n’a changé dans les cerveaux de Bruner Deux, et malheureusement, eux et leurs amis sont partout. Les Brunner Deux, on les connaît peut-être, mais leurs amis on ne les connaît pas et il n’y a pas toujours un Jellinek dans les parages pour les identifier. (…)

Felix va faire le voyage de retour à Vienne, avec un mandat de son oncle : s’occuper de leurs affaires. Il est accompagné de sa grand-mère paternelle Viktoria. C’est à un voyage de cinq semaines auquel nous assistons qui ne va pas se dérouler comme prévu. Felix se perd, victime d’une illusion, croire que l’on peut faire table rase du passé. L’illusion s’incarne dans Gertrud, son ancien grand amour, il la croyait morte, dans sa mère qui a choisi de rester à Vienne et qu’il n’a pas vue depuis plusieurs années, et dans sa ville qu’il essaie de retrouver dans les décombres, Grinzing y apparait comme un paradis.

(…) « Ils avaient convié leurs invités à une collation sur le Coblenzl, mais Felix voulait s’offrir le plaisir d’y aller à pied, car le chemin passait par Grinzing. Un jour ou l’autre, à Vienne, le bonheur passait par Grinzing ; que là-bas aussi, des êtres souffrent et meurent était difficile à croire. Car Grinzing était un chef-d’œuvre achevé du paysage viennois. Au premier abord, c’était une banlieue comme une autre, qu’elle fût plus belle que d’autres ne voulait pas dire grand-chose, de douces collines verdoyantes plantées de vignobles, de petites maisons baroques de couleur ocre avec des statuettes de saints, du lilas fleuri et de la glycine, il y en a ailleurs aussi. Mais ce qu’on chercherait en vain ailleurs et sur tous les continents, c’est la sérénité réconfortante qui règne à Grinzing et que ce lieu dispense avec son parfum de lilas. C’est une sorte de Lourdes pour découragés de la vie. Le passant y trouve une main tendue qui le caresse et le déleste de ce qui l’oppresse. Du moins c’est ainsi que Felix voyait Grinzing ; depuis son retour il désirait ardemment revoir le petit village, Maintenant il assouvissait ce désir. (..)

Je ne veux pas trop déflorer la trame romanesque, je vous laisse découvrir les différents rebondissements. Vous verrez que les choix de plusieurs des personnages d’avoir soutenu les Nazis vont l’entrainer dans un chaos émotionnel et philosophique.

Tout au long du roman, qui est passionnant, on suit le cheminement d’un être ballotté entre ce qu’il espérait, ce qu’il voit et ce qu’il refuse de voir. Est-ce que tout peut recommencer comme avant ? C’est la douloureuse question qui taraude chaque personnage entre ceux qui sont partis, ceux qui sont restés et ont collaborés et ceux qui ont souffert dans leur chair. C’est brutal !

Viktoria de retour en Amérique va revoir ses jugements faciles émis de loin, depuis l’étranger sur la période nazie de l’Autriche. Rien n’était plus facile que d’assener des jugements, avec la confrontation avec le vécu des Viennois : « Si nous pensions mal ? », va-t-elle s’interroger.

Pour résumer :  1200 pages (pour les deux romans) grandioses et agitatrices de neurones, les deux romans sont à absolument à lire, vous allez tout oublier de votre quotidien pendant ces longues heures de lecture. Commencer par Mélodie à Vienne, même si Revenir à Vienne peut se lire indépendamment.

Idéal à lire avant ou après un voyage à Vienne.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.