L’affaire de Road Hill House de Kate SUMMERSCALE

L'AFFAIRE DE ROAD HILL HOUSE - Kate SUMMERSCALE

Parution : en 2008 éditions Christian Bourgois, puis en septembre 2009 pour l’édition de poche 10/18

Traduit de l’anglais par Eric Chédaille

Le genre, le style : une sorte de reportage historique ou de docu-fiction pour parler branché. Je ne peux qu’être d’accord avec la journaliste de Elle Pascale Frey qui s’interroge : « Comme Truman Capote, avec De sang-froid, Kate Summerscale n’aurait-elle pas, elle aussi, inventé un nouveau genre littéraire ? » Comme dans le précédent livre : les archives rien que les archives, mais superbement mises en scène.

L’époque, les lieux : au 19e siècle dans la demeure de Road Hill (nom actuel : Langham House) dans le bourg de Road à 5 miles de Trowbridge (Wiltshire) dans le sud-ouest de l’Angleterre.

L’auteur : Kate est anglaise, elle est née en 1965. Elle est diplômée d’Oxford et de Stanford en histoire et en journalisme. Elle est l’auteur en 1998 de : « The Queen of Whale Quay » (toujours pas traduit en français) pour lequel elle a reçu le prix Somerset Maugham, et de « l’Affaire de Road Hill House » en 2008 qui raconte l’une des affaires criminelles les plus tonitruantes de l’histoire anglaise (Prix Samuel Johnson 2008). Le suivant « Mrs Robinson’s Disgrace » La déchéance de Mrs Robinson était très attendu, il a été publié en 2013 par les excellentes éditions Christian Bourgois.

Les faits : dans la nuit du 29 au 30 juin 1860 Saville, un garçonnet âgé de presque quatre ans, est enlevé puis assassiné chez lui alors qu’il dormait à quelques mètres de la chambre de ses parents, dans la nursery avec Eveline sa petite sœur de vingt mois et la nurse Elisabeth Gough.

La famille fait partie de la bourgeoisie et leur demeure est une maison de maître de deux étages voisinant avec un hameau miséreux de quelques masures nommé Cottage Corner.

Elle est recomposée : Mary-Ann, Elisabeth, Constance et William sont issus d’un premier mariage, Mary-Amelia, Saville et Eveline du second. Samuel Kent avait épousé après la mort de sa première épouse sa maitresse employée comme nurse de ses enfants.

La domesticité est également bien fournie, trois employés sont logés dans la maison : la nurse Elisabeth Gough (22 ans), la cuisinière Sarah Kerslake (23 ans) et la bonne à tout faire Sarah Cox (22 ans). En plus de ces dames six domestiques viennent y travailler. Ils habitent le village de Trowbridge.

L’enquête patine, elle est conduite par un commissaire et par des constables peu habitués à ce genre d’affaire. Un médecin et un avocat, connaissances du chef de famille Samuel Kent, insistent pour faire venir un détective de Londres « avant que toute trace du crime n’ait disparu ou n’ait été effacée ». Le commissaire Foley ne veut pas les entendre, ni le Home Office arguant que « maintenant que chaque comté a sa police, on recourt rarement aux fonctionnaires basés à Londres ».

Les rumeurs se mettent à circuler, la presse s’en mêle. Un jour la nurse est la coupable, le lendemain c’est le père de la victime ou bien la jeune sœur de 16 ans Constance. Le 10 juillet « un éditorial du Morning Post ridiculise les tentatives menées par les policiers du Wiltshire pour découvrir le meurtrier de Saville ». Le journal demande que l’affaire soit confiée au plus expérimenté des détectives même s’il reconnaît que cela suppose la violation d’un espace sacro-saint : le foyer anglais…

Le 15 juillet 1860, Jack Whicher, policier de Scotland Yard reçoit l’ordre de se transporter à Road.

Mon avis : passionnant ! Le premier livre de Kate m’avait enthousiasmé, le second : même sentiment. Encore un fait divers oui mais pas n’importe lequel, Kate ne s’intéresse qu’aux faits divers qui ont modifiés la société britannique et puis quel brio de l’auteur pour nous plonger encore une fois au cœur de ce 19e siècle victorien immobile mais en voie de transformation.

Au delà de la résolution de l’affaire c’est l’occasion de décrire la naissance du détective à la fois dans l’action mais aussi dans la fiction. Jack Whicher, c’est l’un des huit premiers policiers de Scotland Yard. Agé de 45 ans il est le doyen de son unité et jouit d’un prestige considérable. Charles Dickens est un de ses amis, il le considère comme un modèle de la modernité. Le collaborateur de Dickens au Household Words va écrire un récit issu des enquêtes de terrain de Whicher, ce sera la première description d’un détective anglais.

Dans cette décennie 1860 paraissent des feuilletons à énigmes de Dickens, Edgar Alan Poe et surtout de Wilkie Collins présent à tous les moments du livre de Kate. Influencé par ce fait divers on retrouve dans La dame en blanc un enquêteur le sergent Cuff qui entre dans le foyer anglais. La fiction criminelle des décennies précédentes était réservée aux bas-fonds londoniens, maintenant elle envahit la classe moyenne : c’est une révolution. « Les investigations à l’intérieur d’un foyer de la classe moyenne, menées par la presse et surtout par les détectives, étaient ressenties comme une succession d’agressions. »

Concomitamment à cette libération de la fiction criminelle, le public se met à se passionner pour les homicides, surtout quand ils sont domestiques et mystérieux, et pour l’enquête qui s’ensuit. Référence est faite au détective Auguste Dupin (dans les romans d’Edgar Poe) qui élucidait les affaires en glanant les indices, non pas sur les lieux du crime mais dans les papiers des quotidiens. C’est ainsi que des intellectuels vont se mettre à considérer les premiers thrillers psychologiques comme des « agents de l’effondrement social, car lus à l’office comme au salon par les domestiques comme par leur maîtresse »

Pour résumer : un peu de latin pour finir. Le mot détecter vient du latin detegere (découvrir le toit d’une maison) et le boiteux Asmodée (dans la Bible il est un démon) enlevait le toit des maisons pour épier les vies qu’elles abritaient.

Le détective : héros ou voyeur ? En tout cas livre à conseiller à tous ceux qui aiment les polars, là on est aux origines… (Wilkie Collins est à lire absolument)

3 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. lila dit :

    Ca donne envie !

    1. anniemots dit :

      c’est un livre passionnant.J’attends vos commentaires…

  2. Clara-Laure dit :

    En général j’aime bien les romans policiers, mais celui là est vraiment inclassable. Il n’en est pas vraiment un du fait de l’immersion totale dans laquelle on se trouve. On a vraiment l’impression d’y être, l’auteur a fait un remarquable travail d’archive sur ce fait divers mystérieux qu’on veut voir résoudre ! Merci Anniemots de me l’avoir fait découvrir

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