L’ordre du jour de Eric VUILLARD

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l'ordre du jour
160 pages – 16 € –

Parution : en mai 2017 aux éditions Actes Sud.

 

Le genre, le style : à peine un roman, presque un essai, souvent un travail journalistique… Comme pour ses autres romans la place de l’Histoire est prépondérante. Récit linéaire qui part du 20 février 1933, en Allemagne, pour s’arrêter en mars 1938 (en Autriche).

L’auteur : Éric Vuillard est né en mai 1968 à Lyon, mais sa famille est franc-comtoise. Il vit actuellement à Rennes. Il est cinéaste, scénariste et écrivain. Il a réalisé deux films dont Mateo Falcone (2014). Quelques autres romans : eric-vuillardConquistadors en 2009, La bataille d’Occident en 2012, 14 juillet en 2016. L’ordre du jour a reçu le prix Goncourt en 2017.

Les lieux : Allemagne, Autriche.

L’histoire : en 1933 l’Allemagne est mise au pas en interne : dissolutions de nombreuses organisations professionnelles ou confessionnelles catholiques, privation des droits des juifs allemands, des homosexuels, etc. Vers l’extérieur, Hitler prépare l’annexion de l’Autriche ! Et ce 20 février 1933 en ouverture du récit, selon le principe bien connu que l’argent n’a pas d’odeur, vingt-quatre grandes fortunes industrielles allemandes (les Siemens, Krupp, Wolf-Dietrich, von Opel et bien d’autres) sont réunies au Reichstag.
« Soudain, les portes grincent, les planchers crissent : on cause dans l’antichambre. Les vingt-quatre lézards se lèvent sur leurs pattes arrière et se tiennent bien droit. Hjalmar Schacht ravale sa salive, Gustav réajuste son monocle. Derrière les battants de porte, on entend des voix étouffées, puis un sifflement. Et enfin, le président du Reichstag pénètre en souriant dans la pièce ; c’est Hermann Goering. Et cela, bien loin de créer chez nous la surprise, n’est au fond qu’un évènement assez banal, la routine. Dans la vie des affaires, les luttes partisanes sont peu de chose. Politiques et industriels ont l’habitude de se fréquenter. Goering fit donc son tour de tables, avec un mot pour chacun, saisissant chaque main d’une pogne débonnaire. Mais le président du Reichstag n’est pas seulement venu les accueillir, il rognonne quelques mots de bienvenue et évoque aussitôt les élections à venir, celles du 5 mars. Les vingt-quatre sphinx l’écoutent attentivement. La campagne électorale qui s’annonce est déterminante, déclare le président du Reichstag, il faut en finir avec l’instabilité du régime ; l’activité économique demande du calme et de la fermeté. Les vingt-quatre messieurs hochent religieusement la tête. (…) Et si le parti nazi obtient la majorité, ajoute Goering, ces élections seront les dernières pour les dix prochaines années ; et même – ajoute-il dans un rire- pour cent ans. Un mouvement d’approbation parcourut la travée. »

Mon avis : j’ai aimé ce livre mais comme un livre d’histoire. Il est d’ailleurs rare, je crois que c’est la deuxième fois, qu’un livre qui n’est pas un roman à proprement parler reçoive le Prix Goncourt.

C’est l’invasion de l’Autriche, l’Anschluss, qui en est le centre mais il se lit aussi comme une succession d’instantanés historiques, celui de l’adhésion des grandes entreprises allemandes au nazisme, celui de la complaisance anglaise (Halifax), de la complaisance française (Lebrun ridiculisé par l’auteur, car le jour de l’Anschluss il est occupé à parapher des décrets, un relatif à l’AOC du Juliénas et un fixant le budget de la Loterie nationale), de l’humiliation puis de la soumission autrichienne (Schuschnigg, qui sera sauvé in extremis par les Américains en 1945 à Dachau).
Et enfin dans un luxe de détails, car l’auteur a écumé les archives documentaires et photographiques, nous vivons la préparation de l’Anschluss qui s’est passée d’une façon que j’ignorais complètement, j’ai d’ailleurs pensé un moment que ce passage du livre était romancé mais il semblerait que non ! J’ai été victime de la propagande nazie… L’invasion de l’Autriche, le jour J, est un fiasco total. Les Panzers IV, produits par Krupp, tombent en panne les uns après les autres, Hitler est bloqué sur la route menant à Vienne. Les chars devront être soulevés et transportés en train jusqu’à la capitale autrichienne pour reprendre une marche qui aurait due être éclatante de bout en bout. Hitler écume de rage. Eric Vuillard nous rappelle que tous les films d’époque sur la seconde guerre mondiale que nous avons pu voir étaient de la propagande nazie et qu’aucune caméra « objective » n’a filmé ce jour de mars 1938.
On n’a pas attendu l’ère d’Internet pour se faire avoir par des images, l’invasion triomphale n’était en fait qu’un embouteillage de Panzers !!! Malheureusement ça n’a pas changé la suite…

Pour résumer : un très bon livre sur cette courte période historique mais non moins décisive, remarquablement écrit.

2 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. hermet sylvie dit :

    pour ma part, moins emballée que pour 14 juillet : on faisait presque la révolution dans la rue avec le peuple!!.Ici c’est très très bien écrit, beaucoup de recherches historiques mais trop dans le sentiment, l’idée que…on suppute que…
    Le Goncourt pour sa carrière, non?

    1. anniemots dit :

      je n’ai pas lu 14 juillet, Catherine m’en a parlé. De l’Histoire et du sentiment oui, mais bien amené…. Je suis encore dans la même époque avec la trilogie berlinoise de Philippe Kerr, du polar historique excellent !

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