De braves et honnêtes meurtriers de Ingo SCHULZE

le

de braves et honnetes meurtriers ingo schulzeParution : en août 2023 dans les éditions Fayard collection Littérature étrangère. Traduction de l’allemand par Alain Lance et Renate Lance-Otterbein.

Broché : 300 pages – 22 €

Les lieux : Dresde, Allemagne (avant et après la chute du mur).

Le style, le genre : texte qui contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre n’est pas un roman policier , mais le récit de l’entrechoquement de la grande histoire et d’un destin personnel (le titre se comprend à la fin). Le narrateur des première et deuxième parties va nous rester longtemps inconnu tandis qu’une éditrice prend le récit à son compte dans la troisième.

L’auteur : Ingo Schulze est né en 1962 à Dresde et vit à Berlin. Après des études de philologie classique et de littérature allemande à l’université d’Iéna, il a travaillé comme dramaturge et journaliste. À la suite d’un séjour à Saint-Pétersbourg en 1993, il écrit son premier recueil de nouvelles, 33 moments de bonheur (Fayard 2001)

Depuis, il a écrit 13 livres – romans, essais et recueils de nouvelles –, traduits dans 30 langues. Il a reçu de nombreux prix littéraires dont le Prix du Salon de Leipzig, le Prix Berthold Brecht de la ville d’Augsbourg, le Premio Grinzane Cavour ou le Prix Samuel Bogumil Linde. Malheureusement aucun de ses romans traduits n’est publié en poche, la littérature allemande a toujours autant de mal à s’imposer en France… Sept seulement sont traduits dont Peter Holtz : autoportrait d’une vie heureuse  (Fayard 2019) qui a été acclamé par la critique et a connu un énorme succès en Allemagne. ingo schulze

Il est, depuis 2006, membre de l’Académie des arts de Berlin, dont il est, depuis 2010, le directeur du département littérature.

L’histoire : Norbert Paulini, antiquaire à Dresde, est réputé dans toute l’Allemagne de l’Est pour son flair en matière de livres anciens et rares. Les amoureux de la littérature savent qu’ils peuvent toujours dénicher de nouveaux trésors sur ses étagères.

Mais après la chute du Mur à l’automne 1989, la politique envahit tout, les clients se font rares, et la concurrence d’Internet apparaît. Paulini a beau résister pour sauver l’œuvre de toute une vie, une sorte de noirceur obscurantiste semble s’emparer de son âme. Comment un humaniste se change-t-il en réactionnaire – ou plutôt en révolutionnaire ? Et dans quelle mesure peut-on se fier au conteur de cette histoire ?

Mon avis : c’est un roman puissant qui prend sa source dans l’histoire littéraire allemande et dans celle de l’Europe. Le personnage central, Norbert Paulini, est un être complexe qu’on pourrait qualifier de déconstruit, soumis aux contradictions de la politique est-allemande, la Stasi n’était jamais loin… et aux ravages psychotiques de « l’après ».

Les lecteurs qui reprochent à l’édition de ne nous proposer que des personnages prêts à être digérés, et ils n’ont pas tout à fait tort, là quelle puissance ils ne vont pas être déçus ! J’ai souvent pensé au cours de ma lecture à ceux de Theodor Fontane ou à ceux de Robert Seethaler que j’apprécie particulièrement.

Le livre est érudit mais jamais hermétique, les ouvrages anciens des auteurs allemands, français, russes ou encore anglais prennent vie sous nos yeux et si Norbert a parfois du mal à accepter de les voir partir avec ses clients c’est parce que c’est là un des premiers signes de son trouble, l’addiction aux écrivains, à la littérature (Nietsche n’est pas loin). D’ailleurs Ingo Schulze ne manque pas d’humour il fait dire à son personnage : « celui qui lui-même écrit n’est plus en mesure de vraiment lire », à méditer !  La noirceur qui envahit le libraire d’ancien au fur et à mesure des pages trouve sa source dans une multitude de faits, la trahison d’un être proche, la décomposition sociétale et la reprise en main de l’Est par l’Ouest. On sait peu, en France, que des propriétaires ouest allemands de biens immobiliers situés à l’Est ont fait valoir leurs droits une fois le mur tombé et ont plongé des familles dans la précarité. Le nouvel ordre n’est finalement pas mieux supporté que l’ancien… Place est prête pour l’extrême droite…

Pour résumer : c’est un roman fort qui interroge sur notre capacité à chacun à gérer un monde qui s’écroule. Lu il y a 2 semaines, je l’ai toujours en tête, intéressant n’est ce pas ?

6 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. lorenztradfin dit :

    moi je l’ai découvert avec ‘Simple stories’. Mais pas relu depuis. Lors de mon prochain voyage en Allemagne je vais me repencher.sur lui. Merci !

    1. anniemots dit :

      Avec plaisir
      J’ai déniché du même auteur le Peter holtz autoportrait d’une vie heureuse à 8,80€ chez gibert, prix de départ 24€ un record pour un livre neuf, jamais ouvert le dos est nickel. Cela pourrait être réjouissant, ça l’est pour mon portefeuille, mais verifie hélas ce que j’écrivais sur la place de la littérature allemande en France…

  2. Sacha dit :

    Je suis en pleine lecture de « Stasiland » qui me donne envie de creuser davantage les conséquences de l’effondrement de la RDA sur les Allemands de l’Est. Tu tombes donc à pic avec ça roman !

    1. anniemots dit :

      Contente que cela corresponde !!
      Les écrivains allemands contemporains sont très marqués dans leur travail par cette scission rda rfa, en tout cas dans ce qui nous est proposé en traduction. Par moment j’aimerais bien lire autre chose … et toi ?

      1. Sacha dit :

        J’ai davantage lu de romans parlant de la montée du nazisme ou des conséquences de la Deuxième Guerre mondiale. Je commence tout juste à lire ceux qui parlent de la scission/réunification donc je ne sature pas encore ;-D Parmi les auteurs que j’apprécie, Juli Zeh aborde des thématiques plus diverses et situe parfois ses romans à l’étranger d’ailleurs.

  3. Patrice dit :

    Je dois avouer que le début du roman m’avait enthousiasmé mais j’ai trouvé qu’il perdait de sa force au fur et à mesure du récit. C’était ma première lecture d’Ingo Schulze, mais je vais sans nul doute réitérer l’expérience. (Ingo Schulze – De braves et honnêtes meurtriers – Et si on bouquinait un peu ?)

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.