
Parution : en 1988 en Indonésie sous le titre Rumah Kaca, traduit en français par Dominique Vitalyos pour les éditions Zulma en 2018.
Le style, le genre : fresque historique et romanesque ayant pour cadre les Indes néerlandaises au tout début du XXe siècle jusqu’à la première guerre mondiale. Le narrateur n’est plus le personnage central Minke mais un policier du nom de Jacques Pangemanann. Roman largement inspiré de l’histoire personnelle de l’auteur mais avec un décalage temporel.
L’auteur : Pramoedya Ananta Toer est né en 1925 sur l’île de Java. Il a été emprisonné par le gouvernement colonial hollandais de 1947 à 1949. En 1965, accusé de sympathies procommunistes sous la dictature de Suharto, il est envoyé au bagne sur l’île de Buru, le goulag des mers du Sud, dont il sort en 1979, sous la
pression internationale. Jusqu’à la fin de sa vie, en 2006, il est surveillé et systématiquement censuré.
L’œuvre de Pramoedya Ananta Toer est considérable – plus de cinquante romans, nouvelles et essais, traduits dans près de quarante langues. Avec la Maison de verre se termine le Buru Quartet, son chef-d’œuvre publié dans son intégralité en quatre volumes chez Zulma.
Les lieux : l’île de Java (Indonésie).
L’histoire : Comme le maître des marionnettes dans un théâtre d’ombres, Pangemanann est chargé par le Gouverneur des Indes néerlandaises de surveiller et contrecarrer les activités anticoloniales. C’est à lui qu’on ordonne de mettre Minke hors d’état de nuire, de faire cesser ses appels au boycott, son syndicat et son journal. Le commissaire Pangemanann, d’abord tiraillé par sa conscience face à un homme qu’il admire, ne s’embarrasse bientôt plus de scrupules. Espionnage,
intimidation, arrestations, attentats : tout est bon pour détruire Minke et son œuvre. Mais les enjeux de cette lutte pourraient bien dépasser Pangemanann, qui apparaît de plus en plus comme le double obscur de Minke…
« En tant qu’inspecteur, puis commissaire, mon travail avait toujours été de surveiller mon peuple. […] Telle était la volonté du Gouverneur général. Les Indes néerlandaises ne devaient pas changer, il fallait les perpétuer. Et si, ayant pu préserver ces notes, elles parvenaient un jour jusqu’à vous, j’aimerais que vous les intituliez La Maison de verre… »
Les écrits de Minke qui sont parvenus jusqu’à lui, loin d’être détruits (on a peur qu’ils le soient), sont sources de troubles existentiels : « Je sortis les documents de Raden Mas Minke du placard et les glissai dans ma serviette. Je les étudierais chez moi, d’un point de vue d’être humain, de semblable. Non, Monsieur Minke, je ne serai plus le chien de chasse attaché à vos traces. Je redeviendrais votre admirateur, votre disciple, celui qui vous portait en son cœur la plus profonde et la plus sincère estime… ».
Mon avis : le quatrième et dernier volume est aussi formidable que les trois premiers. Voilà ce que j’appelle une œuvre et pas seulement un roman…
Cette Maison de verre nous surprend puisque l’époque n’est plus considérée sous l’œil de Minke mais par celui d’un ancien policier dont nous avons fait connaissance dès le Monde des hommes. De 1911, date à laquelle le commissaire principal Donald Nicolson confie à Pangemanann la mission de surveiller tous les faits et gestes de Minke, à 1919 qui voit le roman s’achever, nous suivons en négatif des évènements déjà survenus, des explications sur des rebondissements dont nous n’avions pas tous les ressorts dans les précédents volumes, et l’acharnement colonial de Néerlandais déjà dépassés.
C’est à 50 ans que Pangemanann commence à écrire un journal quand il prend conscience que sa vie est une imposture, il se fait horreur. Orphelin dès les premiers mois de son existence il est élevé par Frederick, le frère cadet de son père, puis il est adopté par monsieur de Cagnie, un apothicaire français, et sa femme qui sans enfants se prennent d’affection pour lui. Emmené à Lyon, il fera des études à la Sorbonne avant de revenir à Java.
Le développement des idées progressistes et nationalistes, avec des ébauches de partis politiques, et les rapports avec l’Europe et la Chine constituent la trame de fond. L’Allemagne, le Portugal, les Pays-Bas, l’Angleterre, la France jouent leurs partitions sur le dos des indigènes. « (…) un facteur essentiel, particulier aux Indes néerlandaises, empêchait les indigènes instruits de mettre sur pied une révolte organisée. Il n’existait pas encore pour eux d’école supérieure de niveau universitaire, à l’exception peut-être de la Stovia, l’école de médecine, à laquelle je consacrai une note séparée – car les précurseurs du progrès des indigènes en Asie n’étaient-ils pas généralement des médecins, et non, comme c’était le cas en Europe, des hommes de loi ? Peut-être parce que les élans révolutionnaires européens étaient nés du sentiment des injustices à redresser, tandis que les Asiatiques considéraient la société et l’existence comme malades, nécessitant d’être soignées. »
Pour résumer : dense, ambitieux, montrant les faiblesses de l’âme humaine prompte à être corrompue, cette œuvre en quatre volumes est à lire absolument.