
Parution : en 2007 aux éditions du Masque, en format poche au Livre de Poche en 2012 et régulièrement réimprimé en Italie par Grafica Veneta. Traduit de l’anglais par Johan-Frederik Hel-Guedj.

Le style, le genre : roman policier historique.
L’auteur : Philip Kerr est né en 1956 à Edinburgh en Ecosse et décédé à Londres le 23 mars 2018. Il a fait des études de droit et de philosophie à l’université de Birmingham. Il est d’abord rédacteur de publicité puis journaliste. Le succès international de sa Trilogie berlinoise lui permet de se consacrer à temps plein à ses polars. Alors qu’il avait annoncé la fin de Gunther (son détective privé, Bernie, dans les années sombres de l’Allemagne), il lui consacre de nouvelles aventures à partir de 2006 (Hôtel Adlon, La dame de Zagreb) après la publication de la trilogie. Ce roman, la Paix des dupes ne fait pas partie de la série. C’est un auteur à découvrir pour ceux qui ne l’auraient pas encore fait.
Les lieux : l’Allemagne, les États-Unis, Téhéran, Le Caire.
L’histoire : nous sommes à l’automne 1943, après Stalingrad Hitler sait qu’il ne peut plus gagner la guerre. La conférence prévue pour décembre à Téhéran entre Roosevelt, Churchill et Staline va définir les termes de la paix à venir. Hitler envoie quelques espions à Téhéran pour préparer le terrain. De son côté, Himmler en fait secrètement autant. Roosevelt, lui, dépêche Willard Mayer, agent de l’OSS, qui va modifier le cours des choses. Tous les moyens seront bons ? Téhéran devient le théâtre d’une farandole de trahisons, assassinats et renversements de situation. L’auteur offre une alternative audacieuse à l’issue de la conférence, redessinant le destin de l’Europe tel qu’il aurait pu être. Son talent est de rendre tous les personnages historiques incroyablement vrais, et l’intrigue plausible.
Mon avis : l’auteur part d’un fait véridique : l’organisation d’une conférence à Téhéran du 28 novembre au 1er décembre 1943. Pour rappel, à l’issue de ces travaux, qui réunirent pour la première fois les Alliés – en tout cas les principaux (Churchill, Roosevelt et Staline) – trois décisions principales furent prises : le principe d’un démembrement de l’Allemagne, le partage de l’Europe en zones d’influence, le rejet par Staline et Roosevelt du projet britannique d’offensive par la Méditerranée et les Balkans pour privilégier l’organisation d’un débarquement en Normandie en juin 1944.
Philip Kerr connait parfaitement la seconde guerre mondiale et l’histoire nazie de l’Allemagne, il en a fait sa spécialité, on peut lui faire confiance pour nous offrir 80% de vérité historique et pour le reste il nous montre son talent d’écrivain en inventant des situations qui s’imbriquent parfaitement dans ces faits historiques. J’ai beaucoup aimé l’alternance des points de vue. D’un côté il y a Willard Mayer, professeur de philosophie américain d’origine juive qui a appartenu au Cercle de Vienne pendant ses études dans cette ville :
« Moritz Schlick, mon proche voisin à Vienne et chef de file du Cercle de Vienne m’avait invité à me joindre au groupe. Le but du cercle était de rendre la philosophie plus scientifique, et si j’avais eu du mal à trouver un véritable terrain d’entente avec eux – plusieurs membres du cercle étaient des théoriciens de la physique, et s’entretenir avec eux étaient à peu près aussi simple que de converser avec des êtres venus de Mars – , il m’apparut clairement que le simple fait de m’engager au plan philosophique et au sein du Cercle de Vienne constituait en soi un acte politique. Les nazis étaient résolus à persécuter tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec eux, y compris les membres du Cercle de Vienne, plusieurs d’entre eux étant juifs. Et après l’élection d’Engelbert Dollfuss, chancelier pronazi, à la tête de l’Autriche, j’avais décidé d’adhérer au Parti communiste. Un parti auquel j’étais resté fidèle jusqu’à ce long été 1938, si chaud et, pour moi, si volage. »
Il a poussé l’engagement jusqu’à espionner Goebbels pour le compte du NKVD. Ayant renié ce passé sulfureux il s’engage dans l’OSS, qui ne sait rien de son passé, et devient un émissaire de Roosevelt.
De l’autre côté il y a le général SS Walter Schellenberg que j’ai trouvé un bref temps sympathique, et oui dans un groupe même le plus répugnant il y a toujours le moins pire et le pire du pire. Ayant trouvé ce sentiment assez incongru je me suis connectée sur Wikipédia pour me remettre les idées à l’endroit, je n’ai pas été déçue…
« Décidément, dans la SS, on n’avait jamais l’occasion de s’ennuyer, se dit Schellenberg en entrant dans la salle d’un pas nonchalant. Enfin, presque jamais. Un discours de Himmler, il ne pouvait que redouter pareil événement, car le Reichsführer avait une tendance à faire long et, vu le nombre de généraux SS qui étaient réunis dans la Salle Dorée de l’architecte Franz Schwechten, il s’attendait à un discours aussi interminable et barbant que le Mahabharata. Le Mahabharata était un livre que le jeune général s’était imposé de lire afin d’être en position de mieux comprendre Heinrich Himmler, qui était son plus ardent partisan. L’ayant lu, Schellenberg avait plus facilement compris où le Reichsführer était allé puiser certaines de ses idées les plus folles concernant le devoir, la discipline et – l’un des ses mots préférés – le sacrifice. »
Au sein du Sicherheitsdienst le SS-Brigadeführer Schellenberg propose à Hitler une opération d’envergure, cette opération est montée conjointement par les services secrets de l’Abwehr de l’amiral Canaris et se déroulera à Téhéran. Opération commando dont je ne dirai pas plus, tout cela au cœur des négociations de paix secrètes entre les Allemands et les Russes, entre les Allemands et les Américains et … entre les Alliés officiels Russie / Allemagne / Grande-Bretagne.
Partout règnent l’absence de scrupules et le cynisme le plus absolu, force est de constater, encore une fois, que les faits historiques qui nous sont enseignés sont bien édulcorés, l’envers du décor est sordide. Mais histoire et espionnage faisant bon ménage j’ai beaucoup aimé !
Pour résumer : meurtres, torpillages sur l’Atlantique, trahisons, coups tordus, double jeu s’enchainent avec bonheur, à la fin du livre Philip nous dit ce qui est vrai ou probable. Un avertissement tout de même, des récits de tortures sont insoutenables dans les rapports sur les massacres des officiers polonais à Katyn en Ukraine ou dans le camp russe de Betekovka lors de la capture de centaines de milliers de soldats allemands affamés, torturés, seuls 5000 vont en réchapper.