Parution : en 1969 en URSS, en mai 2019 en France dans les éditions du Canoë. Traduction du russe par Monique Slodzian, préface de Zakhar Prilepine.
479 pages – 23 €
Les lieux : Berlin, la Suisse.
Le style, le genre : roman historique, roman d’espionnage. Contrairement aux romans de propagande qui se multiplièrent à partir des années 1960 dans le bloc de l’Est, les récits d’espionnage de Semenov ne sont pas écrits à gros traits. Sa fresque, qui entremêle personnages fictifs et réels, se déploie selon une géographie éclatée et une chronologie en zigzag. il fallait répondre au succès à l’ouest de James Bond puis du Smiley de John Le Carré. Autant de traits qui préfigurent la série de Philip Kerr, Bernie Gunther.
L’auteur : Julian est né le 8 octobre 1931 et décédé le 5 septembre 1993 à Moscou. Il est le fils d’un éditeur, journaliste et écrivain et d’une professeure d’histoire. Il poursuit en 1948 des études à l’Institut d’études orientales de Moscou et en sort diplômé dans le domaine perse. En 1959 il écrit son premier roman Agent diplomatique.
En 1967, Iouri Andropov, président du KGB, le contacte. Journaliste et traducteur, Julian Semenov venait de signer Major Tourbillon (non traduit), où apparaît un colonel tchékiste, Maxime Issaiev, alias Otto Von Stierlitz, espion soviétique infiltré au sommet de la hiérarchie nazie. Ce héros bolchevique avait plu à Andropov. Il incita l’écrivain à poursuivre ses aventures et fit déclassifier des archives pour sa documentation. L’année suivante parut La Taupe rouge, dont le succès fut décuplé par son adaptation en série télévisée en 1973 (disponible sur YouTube en version sous-titrée). Onze titres ont suivi. A la fin de sa vie avec le baron Edouard von Pfalz-Fein il crée « Le Comité international de recherche de la Chambre d’ambre » qui comprend également son ami Georges Simenon, James Aldridge et George Stein. Cette association, comme d’autres qui cherchaient à éclaircir ce mystère, n’obtint aucun résultat…
Son parcours mérite de s’y arrêter, consulter cet enregistrement de France Culture.
L’histoire : Maxime Issaiev, alias Max von Stierlitz est un agent soviétique infiltré en Allemagne nazie. Il a atteint le grade élevé de Standartenführer SS qui lui permet de frayer parmi le très petit cercle des hauts responsables du régime. De février à avril 1945, depuis qu’il est certain que la guerre est perdue pour les Allemands, sa mission consiste à déjouer un complot que fomentent, chacun de leur côté, à l’insu des autres, de très proches conseillers d’Hitler pour sauver leur peau. Ils tentent de négocier, dans le dos des Russes, une paix séparée avec les Anglo-Américains pour contrer la menace soviétique. Le dénouement devrait intervenir en Suisse.
Mon avis : une très bonne idée des éditions du Canoë d’avoir édité en français ce livre de Semenov, et plusieurs autres dans les mois qui vont suivre (14 très exactement). Auteur incontournable du roman d’espionnage il réjouira tous ceux qui aiment les romans d’espionnage basés sur des fait réels. Les tractations en secret de Bormann, Kaltenbrunner et consorts, et bien sûr de Himmler pour se sauver du désastre sont très détaillées. Semenov est souvent comparé à John Le Carré, c’est tellement vrai que j’ai eu la même difficulté en lisant l’un et l’autre à m’y retrouver dans la multitude de personnages, dans la succession des événements et à savoir qui des uns et des autres est allié ou ennemi… c’est surtout vrai pour la première partie du livre où tout se met en place, ensuite la lecture est plus aisée. Il se lit en toute première intention comme un roman historique, vous avez pu apprécier dans la présentation de Semenov que Iouri Andropov, chef du KGB, a en effet déclassifié des archives pour permettre à l’auteur d’être au plus près des événements. J’en ignorais la majorité, ils n’ont pas été mis sur le devant de la scène, traiter avec des nazis ce n’est guère reluisant mais géopolitiquement obligatoire pour les grandes nations de l’époque… Realpolitik, oder ?
Pour résumer : si vous êtes accro de John le Carré ce livre est fait pour vous, sinon il risque de vous décevoir.