Parution : en février / mars 2020 presque simultanément en France chez Seuil et en Allemagne chez Matthes & Seitz Verlag. L’auteure, allemande, vit en France. Elle a la particularité d’écrire ses romans en français et en allemand. Le titre en allemand : Annette, eine Heldinnenepos.
233 pages, 19 €
Le style, le genre : roman historique (XXe siècle), couvrant la seconde guerre mondiale et la guerre d’Algérie. Ce roman a obtenu en 2020 le Deutscher Buchpreis, équivalent de notre Goncourt. La langue française est admirablement mise en valeur, c’est d’autant plus remarquable que ce n’est pas la langue maternelle de l’auteur. Ce don pour les langues me fascine et me ravit !
Les lieux : campagne bretonne, Rennes, Paris, Lyon, la Drôme, la Tunisie, l’Algérie.
L’auteure : Anne est née à Offenbach en Allemagne en 1964, elle vit à Paris depuis 1983. Elle est l’auteure d’une dizaine de romans, œuvre inventive et diverse qui va du « roman mythologique » Vallée des merveilles à Vaterland, exploration de ses origines et récit d’un voyage dans le temps. Elle écrit toujours deux versions – française et allemande – de ses livres. Par ailleurs traductrice, elle a notamment traduit, en français, le romancier Wilhelm Genazino, Marie-Louise Scherer et Peter Handke et, en allemand, Pierre Michon, Georges Perros et Marguerite Duras.
L’histoire : Il y aurait donc encore des héroïnes, des vraies ? Et on peut les croiser dans la rue, leur parler, les connaître ? Près de Dieulefit, dans la Drôme, vit Anne Beaumanoir, dite Annette, un petit bout de femme presque centenaire, aux yeux lumineux et à la parole vive. Entrée dans la Résistance communiste à dix-neuf ans, elle en enfreint les règles en prenant l’initiative de sauver deux adolescents juifs. Elle lutte à Rennes, à Paris, à Lyon ; elle participe à la libération de Marseille. Puis, après un bref intermède de vie bourgeoise – études de médecine, mariage, enfants –, elle s’engage pour l’indépendance de l’Algérie, ce qui lui vaut une condamnation à dix ans de prison. Une évasion rocambolesque lui permet de gagner la Tunisie, puis l’Algérie où elle participe au premier gouvernement indépendant sous Ben Bella, avant d’être obligée de fuir à nouveau, au moment du coup d’État de Boumediene.
Voilà sa vie, en quelques lignes. Mais les méandres d’une existence héroïque, ses hauts faits et ses doutes, comment les raconter ? Ne faudrait-il pas les chanter, plutôt ? La vie d’Annette, c’est une épopée !
Mon avis : très bon livre que j’avais sur ma table de chevet depuis de nombreux mois, lecture seulement retardée par le coup d’œil rapide sur la mise en page complètement inutile, seules les 2/3 de la page sont imprimées, un peu comme dans les éditions de poésie. Un visuel qui ne répond pas aux « canons » d’un roman et qui m’a déstabilisée je l’ai laissé de côté. Je me demande ce qui amène des éditeurs à des choix semblables (à moins que ce ne soit le désir de l’auteure… dans ce cas…). Bien fait de le reprendre, une fois l’œil habitué à ces lignes tronquées ! L’histoire commence en Bretagne dans la région de naissance d’Annette. Jeune adolescente, à l’été 36, elle est à l’écoute des nouvelles du monde, en Allemagne, en Italie, en Espagne. Elle lit Malraux, le personnage de Tchen dans la Condition humaine est un modèle. Ce qui la séduit ce sont les sentiments, l’exaltation, l’idée de sacrifier sa vie pour une idée tout idéale. Puis c’est l’engagement militant favorisé par celui de son père, ce seront le parti communiste, la résistance.
Le roman est écrit, sans mauvais jeu de mot eu égard aux périodes historiques traversées, avec un rythme de mitraillette, le récit est mené tambour battant. Les situations et les péripéties s’enchaînent sans que je n’ai eu le temps de reprendre mon souffle. Rythme que l’on peut parfois regretter tant on aimerait qu’elle s’attarde un peu plus longuement sur certains épisodes de la vie d’Annette, mais qui se comprend tout à fait car il colle parfaitement au personnage qui est sans cesse dans l’action.
Inspirée par une histoire vraie, Anne raconte : Le point de départ du livre est une rencontre. Il y a quelques années, j’ai rencontré par hasard une vieille dame appelée Anne Beaumanoir, avec laquelle je me suis liée d’amitié et dont j’ai appris petit à petit l’histoire. Un peu plus tard, lorsque j’ai commencé à comprendre que j’allais peut-être lui consacrer un livre, je me suis dit : mais comment vais-je pouvoir m’y prendre pour raconter la vie de quelqu’un qui existe, que je connais ? Ai-je le droit de faire de cette histoire ce que je veux, sous prétexte qu’elle me l’a confiée ? Ai-je le droit de m’en servir à mes propres fins littéraires ?
L’idée me répugnait d’en faire un roman, autrement dit, de donner à cette femme un autre nom puis d’inventer gaiement des épisodes ou des détails afin de créer une ambiance ou un suspense, de mettre dans la bouche de la protagoniste des phrases qu’elle n’a jamais dites, etc. Je voulais au contraire m’en tenir à ce que je pouvais savoir d’elle. Or, ce n’est pas non plus une biographie que je voulais écrire, mais bien une œuvre littéraire.(…) est-ce que littérature égale fiction, comme le suggère la catégorisation nous venant des pays anglo-saxons : fiction, non-fiction ? Pour moi, cette distinction n’est pas très valable. Il y a des romans qui racontent des histoires entièrement inventées et qui ne relèvent pas pour autant de la littérature, en tout cas pas de la bonne — et des livres qui n’inventent rien, ou pas grand-chose, et qui n’en sont pas moins littéraires pour autant. En fait, la réalité, dès lors qu’on se met à la raconter, ne peut se passer d’imagination, et inversement un récit fictif ou des personnages inventés reposent toujours sur des personnes et des faits réels.
Pour résumer : personnage réel d’un courage hors norme, plus fort que la fiction ! Lecture à ne pas manquer. Surveillez la sortie en poche chez Points Seuil. À la rentrée peut être ou début d’année prochaine.
Une histoire qui semble en effet digne d’être couchée par écrit! Mais c’est surtout la réflexion d’Anne Weber que vous citez, sur la forme littéraire à choisir pour parler d’une vraie vie, qui m’interpelle. Je viens de lire un roman sur une femme du XXe siècle (« Dora Maar et le Minotaure ») qui m’a justement gênée par ce mélange entre roman et réalité. Je suis donc vraiment curieuse de lire ce livre d’Anne Weber pour voir comment elle s’y prend.