Parution : en 1953 (1950 en Allemagne) puis en 2004 (pour cette traduction) chez Calmann-Lévy puis en format poche dans les éditions Le Livre de Poche en 2019. Traduction de l’allemand de Jacques Martin.
broché : 360 pages – 19.30 € poche : 552 pages – 8.40€
Les lieux : dans le centre de l’Allemagne, en Thuringe.
Le style, le genre : roman allemand d’introspection ayant pour toile de fond l’après seconde guerre mondiale. C’est le dernier roman de l’auteur.
L’auteur : Né en Prusse en 1887 (dans une ville aujourd’hui en Pologne), Ernst Wiechert a vécu avec une intensité extrême la double épreuve de la première guerre mondiale et du triomphe du nazisme en Allemagne. Écrivain aussi vénéré en Allemagne que Thomas Mann et Hermann Hesse, détenu à Buchenwald, il s’est exilé en Suisse en 1948. Il meurt en 1950 au moment de la publication de Missa sine nomine. Il est aussi l’auteur de La Commandante, Le Capitaine de Capharnaüm, Les Enfants Jéromine, La Grande Permission, L’Enfant Elu (tous parus chez Calmann-Lévy).
L’histoire : La toile de fond de « Missa sine nomine » c’est l’Allemagne vaincue de 1945, l’Allemagne « année zéro » qui survit dans les décombres.
Dans un château dont il a hérité mais qui est occupé par les Américains, Amédée von Liljecrona retrouve ses deux frères qui ont fui la Prusse orientale occupée par les Russes. Il a passé les quatre dernières années de la guerre dans un camp de concentration : Je ne suis plus un chrétien, je suis un fauve. J’ai été dans la fosse aux bêtes, il ne faut plus me parler. »
Missa sine nomine est le récit de ce retour parmi les hommes. Toute la profondeur et la beauté de ce livre naissent de l’impossibilité d’un retour progressif. Il faudra pour vivre à nouveau une véritable conversion à la vie. Une offrande sans nom.
Mon avis : les textes de Wiechert sont imprégnés de foi chrétienne, de vieilles légendes païennes, de mysticisme et de considérations sur la nature humaine . C’est un univers qui, globalement, m’est étranger (exceptée la nature omniprésente) mais qui me fascine, tout comme je l’avais été lors de la lecture de Les enfants Jeromine . L’austérité, la droiture se dresse contre la faiblesse humaine, lisez ce passage (un des gardes d’Amédée, hitlérien, est celui qui l’avait dénoncé aux Nazis) :
- Le tribunal a siégé ici, dit Amédée. L’audience est terminée. Mais je n’étais pas juge.
- Qui était-ce ? demanda le garde à voix basse.
- Quand un homme se confesse, un tribunal siège, répliqua le baron. Moi, je n’ai fait qu’écouter.
Le garde se leva. C’était déjà le crépuscule, et au bord du marais, les hirondelles s’appelaient.
- Je suis un simple, dit-il. Je voudrais vivre de nouveau avec les arbres. Je suis sorti du droit chemin. J’ai écouté les hommes.
- Il y a des époques, dit le baron, où les hommes croient aux barbelés. Les vainqueurs comme les vaincus. C’est une foi de primitifs. Il faut se mettre à croire à autre chose.
- Je m’y suis mis, dit le garde. C’est ce soir que je m’y suis mis. Je remercie M. le baron.
Ses deux frères Aegide et Erasme sont très différents, ils n’ont pas connu l’enfer de la détention mais l’exode, ils le rejoignent dans l’amour de la musique et du violoncelle. Ils vont l’aider à son « retour parmi les hommes », avec d’autres personnages très intéressants que je vous laisse découvrir : le cocher Christophe (fidèle et sage), « la jeune femme » (complexe), le pasteur Wittkoop (allergique à la soutane), l’officier américain John Hilary Kelley (l’occupant victorieux), etc.
Un petit passage mettant en scène la femme d’Aegide :
- Est-ce que tout va bien là-bas, frère ? demanda Amédée, le soir, à Érasme qui était venu le voir. Elle est venue ici aujourd’hui et elle ne semblait guère rayonner.
Érasme ne le comprit pas tout de suite. Puis il secoua la tête.
- Elle ne sera jamais aussi rayonnante que les autres, dit-il. Il y a des femmes chez qui la joie, ou ce qu’on appelle le bonheur, ne s’extériorise pas. Ce que nous en voyons n’est qu’un reflet intérieur. On dirait que leur cœur en fait provision, pour les jours de détresse. Et elles savent aussi que le bonheur ne dure pas. Ce qui dure, c’est seulement ce en quoi nous l’avons transformé.
- Mais c’est une véritable école de sagesse que tu as chez ces femmes, en bas ? fit Amédée en souriant.
- Oui, même là peut-être, frère, répondit Érasme. Elles ont mieux supporté toutes ces épreuves que les hommes. Ne fût-ce que leur torchon à la main. Car beaucoup d’hommes n’ont même pas cela. Ils n’ont absolument rien, comprends-tu ? ils se contentent d’avoir faim. Quand on leur enlève la nappe de sous le nez, ils se bornent à demander : « A qui la faute ? » Les femmes, elles, se baissent et ramassent les morceaux.
Pour résumer : de la grande littérature classique, chaque page amène à une réflexion profonde. Je recommande !
Un auteur que je souhaite redécouvrir. Merci pour ton texte.
Je suis tout à fait d’accord avec toi sur Ernst Wiechert. J’avais beaucoup apprécié Les enfants Jéromine. Les extraits que tu donnes de ce livre sont très forts et je retrouve bien là cet auteur. J’ai lu récemment « Roman d’un berger » qui vient d’être réédité, et que je te conseille.
Merci du conseil. Je vais le commander. Bonne journée